Une étude novatrice sur l’ADN environnemental, parrainée par la SFI, examine les cours d’eau après des incendies à grande échelle en Oregon.
Par: Steve Wilent
Les incendies de la fête du travail de 2020 dans l’ouest de l’Oregon ont été sans précédent, non seulement par la superficie brûlée (plus d’un million d’acres – 405 000 hectares), mais aussi par leur férocité. Des vents chauds et secs soufflant de l’est ont balayé l’État, provoquant de petits incendies qui se sont rapidement transformés en méga-incendies de 40 000 hectares et plus en l’espace de quelques heures. En plus de cinq méga-incendies, 12 autres incendies se sont déclarés ou ont pris rapidement de l’ampleur les 7 et 8 septembre 2020. Ces incendies ont détruit plus de 6 000 maisons, commerces et structures. Ils ont également tué ou endommagé des arbres qui auraient pu produire environ 15 milliards de pieds-planches de bois d’œuvre.
Bien que jugés catastrophiques à bien des égards, ces incendies ont offert aux scientifiques une occasion unique d’étudier leurs effets sur les cours d’eau et les poissons. Les forêts apportent aux cours d’eau des matériaux ligneux et de l’ombre qui peuvent contribuer positivement aux habitats aquatiques de nombreuses espèces. Une équipe de scientifiques du National Council for Air and Stream Improvement (NCASI), de Weyerhaeuser et de l’US Forest Service Pacific Northwest Research Station a entrepris d’examiner les effets des incendies de forêt sur la végétation des zones riveraines et la biodiversité aquatique.
Une subvention de conservation de la Sustainable Forestry Initiative (SFI) a soutenu l’initiative en finançant l’analyse de l’ADN environnemental, ou ADNe, recueilli dans les cours d’eau de trois des plus grands incendies de forêt. Cet ADNe provient de poissons, de macro-invertébrés, de plantes et d’autres organismes et a été prélevé dans des échantillons de sol, d’eau et d’air. Ces informations génétiques proviennent de l’élimination des cellules de la peau et des écailles, des déchets, des spores et des pollens, ainsi que de la décomposition. Cette étude est la première à utiliser l’ADN environnemental pour évaluer la biodiversité aquatique dans de vastes zones brûlées par des incendies, un domaine d’étude important pour le projet des retombées de SFI pour la conservation, initiative lancée il y a dix ans et qui a pour objet de mesurer les résultats de la certification forestière en matière de conservation. De plus, la norme d’aménagement forestier SFI est la seule norme de certification forestière qui exige des organisations certifiées qu’elles soutiennent la recherche sur les forêts et la conservation.
Pour cette étude, les chercheurs ont utilisé un échantillonnage aléatoire stratifié pour sélectionner 30 tronçons de cours d’eau dans des bassins hydrographiques brûlés lors de trois des plus grands incendies de 2020 (Riverside, Beachie Creek et Holiday Farm) représentant une gamme d’âge de peuplement avant l’incendie et de sévérité du feu, y compris des bassins hydrographiques non brûlés et ceux qui ont subi des incendies de forte intensité. Six autres bassins versants non brûlés de l’État de Washington ont servi de sites de contrôle pendant les cinq années de l’étude.
Près de la moitié des terres incendiées en 2020 étaient des terres fédérales, principalement des terres relevant de l’USDA Forest Service et au Bureau of Land Management; le reste appartenait à des propriétaires privés (44 %), à l’État et à d’autres entités. Environ 55 600 hectares de terres forestières de la société Weyerhaeuser certifiés selon la norme d’aménagement forestier SFI en Oregon ont été brûlés. Ces incendies ont également brûlé d’importantes superficies d’autres terres forestières certifiées SFI, dont 3 230 acres appartenant à la division forestière Port Blakely du US Forest Service.
« Nous pensions que les effets des incendies de forêt sur les écosystèmes aquatiques se traduiraient surtout par des réactions physiques, telles que la perte de couvert végétal et la hausse de la quantité de lumière atteignant le cours d’eau », explique Ashley Coble, chercheuse principale au NCASI. « Nous pensions également que les incendies finiraient par avoir, si ce n’est immédiatement, des effets considérables sur les gros débris ligneux qui pénètrent dans les cours d’eau. Cela aurait un impact significatif sur la quantité de sédiments circulant et/ou stockés dans ces systèmes de cours d’eau. Nous nous attendions à ce que ces facteurs et d’autres influencent les réseaux alimentaires aquatiques, qu’il s’agisse de la production primaire dans les cours d’eau ou de la production secondaire de macro-invertébrés, qui font partie du réseau alimentaire mais sont également de bons indicateurs de la qualité de l’eau, des indicateurs couramment utilisés par les organismes de réglementation pour évaluer la qualité de l’eau », ajoute-elle.
Au cours de l’étude, Jake Verschuyl, Ph.D., directeur de la durabilité des forêts de l’Ouest au NCASI, s’est concentré sur le bois dans les cours d’eau dans des zones avec différents niveaux d’aménagement forestier, y compris notamment des zones où des opérations de récolte de récupération ont été menées peu de temps après que les incendies ont été maîtrisées. Un certain niveau de débris ligneux dans les écosystèmes riverains peut contribuer de manière significative à la complexité de l’habitat aquatique et aux fonctions écologiques.
« Nous avons supposé que la gravité des incendies aurait un effet sur l’apport de bois dans les cours d’eau et nous avons voulu examiner comment l’aménagement forestier dans ces bassins versants pourrait également affecter cet apport », relate Jake Verschuyl. « Jusqu’à présent, nous n’avons pas observé de signal indiquant que l’intensité de l’aménagement forestier entraîne nécessairement un apport de bois dans les cours d’eau correspondant à la gravité des incendies de forêt. Ce n’est pas très surprenant, mais je m’attends à ce que la dynamique du bois entrant dans les cours d’eau évolue quelque peu au fil du temps. En continuant d’étudier ces bassins versants, nous serons mieux à même de décrire l’ensemble de la dynamique. Nous commençons seulement à voir les premiers stades de cet apport provenant des diverses perturbations qui se sont produites le long de ces cours d’eau et la manière dont il affecte l’habitat aquatique » ajoute-t-il.
Bien que la gravité des incendies soit un facteur beaucoup plus important que l’intensité de la récolte du bois pour ce qui est de l’apport de bois dans les cours d’eau, il est possible de placer des débris ligneux dans les cours d’eau pendant les opérations de récolte, lorsque des machines sont présentes et disponibles pour déplacer les troncs d’arbres afin d’améliorer les habitats aquatiques. La subvention de SFI pour la conservation qui a soutenu ce projet a aidé les chercheurs à analyser l’ADNe pour évaluer les effets des incendies sur ces écosystèmes aquatiques. Dans ce cas, les fragments d’ADNe d’une truite fardée présents dans l’eau du ruisseau, par exemple, confirment la présence de poissons dans le ruisseau.
Les fragments d’ADN rejetés par les poissons proviennent généralement des écailles ou des excréments. Brooke Penaluna, chercheur en biologie piscicole auprès du US Forest Service, a expliqué comment ces fragments agissent comme des miettes de pain qui indiquent la présence ou l’absence d’une espèce, son abondance relative et la variabilité génétique au sein de l’espèce. Il existe différents dispositifs permettant de filtrer l’ADN à partir d’échantillons d’eau sur le terrain. Penaluna et ses collègues utilisent un appareil appelé Tube for eDNA (ToD), fabriqué par David Leer de CreekWalker Aquatics, qui leur permet de traiter jusqu’à quatre échantillons au même endroit. Le ToD possède des filtres distincts pour chacun des quatre échantillons, qui sont ensuite envoyés à un laboratoire pour l’analyse de l’ADN.
Il faut veiller à ne pas contaminer les échantillons. Les scientifiques doivent porter des cuissardes propres et des gants chirurgicaux pour prélever des échantillons d’eau dans une zone ciblée d’un ruisseau, d’une rivière, d’un étang ou d’une zone humide. Dans les cours d’eau, les scientifiques prélèvent l’eau en amont de leur position afin d’éviter de contaminer un échantillon avec de l’ADN qui pourrait se trouver sur leurs gants, leurs cuissardes ou leurs vêtements. En été, lorsque le débit des cours d’eau est faible, les fragments d’ADN peuvent parcourir 50 mètres ou moins avant de se déposer dans les sédiments au fond de l’eau. Dans les rivières à débit rapide, les fragments peuvent parcourir jusqu’à plusieurs kilomètres. Les fragments d’ADN se détériorent avec le temps; ils le font plus rapidement dans les eaux ayant un pH élevé ou des températures relativement élevées.
Laura Six, écologiste forestière chez Weyerhaeuser, est une autre chercheuse impliquée dans l’étude. Elle se concentre sur la recherche en biodiversité et la surveillance des espèces sensibles dans les forêts aménagées. Au cours des quatre dernières années, Laura a été la représentante de Weyerhaeuser au sein de Project Learning Tree (une initiative éducative de la SFI), un programme national d’éducation environnementale, d’alphabétisation forestière et d’emplois verts conçu pour les éducateurs, les parents et les dirigeants communautaires qui aident les enfants de la maternelle à la fin du secondaire à se familiariser avec les arbres et la nature, avec des aides à la carrière pour les professionnels en début de carrière.
« Il est intéressant de constater, d’après nos données, que la réaction après un incendie de forêt dépend fortement de la couche de végétation », fait savoir Laura Six. « Par exemple, la mortalité de la canopée ne se produit souvent pas d’un seul coup – nous constatons toujours une mortalité trois ou quatre ans après l’incendie. En revanche, le sous-bois semble réagir beaucoup plus rapidement, du moins en termes de couverture et de richesse des espèces. Un an ou deux après un incendie, il ressemble aux sites non brûlés. La composition des espèces peut être légèrement différente, tout comme la communauté végétale, mais la couverture globale en termes de nombre d’espèces est similaire en l’espace d’un an ou deux », souligne-t-elle.
Bien que l’étude ne soit pas encore terminée, les résultats obtenus jusqu’à présent indiquent également que les poissons de la zone étudiée sont résistants aux incendies de forêt. David Penaluna et ses collègues continueront à faire des observations et à recueillir des données jusqu’à l’été 2025.
« Certains pensaient que ces grands incendies seraient très préjudiciables aux écosystèmes aquatiques », fait remarquer M. Penaluna, « Toutefois, nos résultats sont pour l’instant surprenants, car nous constatons que la plupart des données recueillies démontrent que les poissons sont assez résistants aux incendies – soit qu’ils n’ont pas réagi, soit qu’ils se sont rétablis. Les têtards d’amphibiens ont montré une plus grande sensibilité, mais pour la plupart des organismes dans les cours d’eau, l’histoire générale est que les impacts des incendies de forêt n’ont pas été aussi préjudiciables que prévu », souligne-t-il.
« La question qui se pose maintenant est de savoir à quelle fréquence nous devrons procéder à l’échantillonnage après 2025 », déclare David Penaluna. « Pouvons-nous prélever des échantillons tous les deux ou trois ans et savoir si les cinq premières années ont été les plus importantes? Et, bien sûr, nous attendons une grosse tempête pour commencer à comprendre son impact sur l’environnement après l’incendie » ajoute-t-il.
Pour mieux promouvoir et communiquer la recherche, l’Institut des ressources forestières de l’Oregon a organisé une visite de terrain avec le soutien du NCASI, Weyerhaeuser et d’autres partenaires au cours de l’été 2024. Cette visite s’est déroulée le long du bras central (middle fork) de la rivière Molalla, au sud-est de Portland, dans l’Oregon. La visite a mis en évidence trois aires d’étude du projet, démontrant les différences dans l’impact des incendies, les réponses de gestion et la résilience des écosystèmes aquatiques et de la végétation riveraine grâce à l’analyse de l’ADN environnemental et aux observations sur le terrain.
Une résilience accrue aux incendies pour les forêts et les communautés, ainsi qu’une meilleure santé des forêts et une meilleure adaptation au climat et son atténuation sont des objectifs clés à long terme identifiés dans la nouvelle orientation stratégique SFI 2025-2030, et la norme d’aménagement forestier SFI comprend des objectifs liés à la foresterie climato-intelligente (objectif 9, exigeant des organisations certifiées SFI qu’elles développent des stratégies d’adaptation aux risques liés au changement climatique et qu’elles atténuent les effets de leurs opérations sur le changement climatique) et la résilience et la sensibilisation aux incendies (objectif 10, exigeant des organisations certifiées SFI qu’elles limitent les conséquences négatives des incendies de forêt sur la qualité et la quantité de l’eau ainsi que sur l’ensemble de tous les organismes vivants).
Le projet informera les pratiques forestières et améliorera la compréhension de l’échantillonnage de l’ADNe pour évaluer les résultats de la biodiversité et informer l’aménagement forestier. Au fur et à mesure de l’avancement de l’étude, SFI mettra en avant les résultats auprès des comités régionaux de mise en œuvre des normes SFI et dans les programmes de conservation afin de soutenir les organisations certifiées SFI.
Steve Wilent est un ingénieur forestier indépendant, un éducateur et un journaliste qui vit à Zigzag, dans l’Oregon. Contactez-le à l’adresse SWilent@gmail.com. Une version de cet article a été publiée dans The Forestry Source, une publication de la Society of American Foresters, septembre 2024, eforester.org.© 2024 The Society of American Foresters.
Informations complémentaires
- Programme des subventions SFI pour la conservation : https://forests.org/fr/bourses-de-sfi-pour-la-conservation/
- Coble, A. A., Penaluna, B. E., Six, L. J., & Verschuyl, J. (2023). “Fire severity influences large wood and stream ecosystem responses in western Oregon watersheds”. Fire Ecology, 19(1), 1-21. Accès libre.
- Kirkland, J. et Penaluna, B. E. (2023). “The promise of environmental DNA: Life in northwest streams revealed through a bottle of water.” (La promesse de l’ADN environnemental : La vie dans les cours d’eau du nord-ouest révélée par une bouteille d’eau). Science Findings, US Forest Service Pacific Northwest Research Station.
- Penaluna, B.E., Coble, A. A., & Ellison, A. (2024). Effects of fire on stream ecosystem responses in western Oregon watersheds.” (Effets du feu sur les réponses de l’écosystème des cours d’eau dans les bassins versants de l’ouest de l’Oregon). Mémoire de recherche du Northwest Fire Science Consortium.
Une zone brûlée et récupérée sur les terres de Weyerhaeuser incendiées en 2020. Photo de Steve Wilent.
Dave Leer de CreekWalker Aquatics, un sous-traitant principal du NCASI, recueille des échantillons d’ADNe dans un cours d’eau de l’Oregon. Photo gracieuseté du NCASI.
Brooke Penaluna, chercheuse en biologie piscicole du US Forest Service, montre comment traiter des échantillons d’eau provenant d’un cours d’eau situé sur le territoire de Weyerhaeuser, en Oregon. Les filtres de l’appareil seront envoyés à un laboratoire pour l’analyse de l’ADN environnemental. Brooke Penaluna explique le processus lors d’une visite de la région organisée par l’Institut des ressources forestières de l’Oregon en mai 2024. Photo de Steve Wilent.
Laura Hauck, technicienne en sciences biologiques à la Pacific Northwest Research Station, travaille avec des échantillons d’ADN environnemental dans le laboratoire des sciences forestières de Corvallis.
Photo gracieuseté de Rich Cronn, USDA Forest Service.
Des chercheurs recueillent des données sur les arbres morts et abattus le long d’un ruisseau dans une zone brûlée par un incendie de forêt en 2020. Photo de Laura Six.
Six mois après l’incendie qui a ravagé une region de l’Oregon en 2020, des érables à grandes feuilles comme celui-ci montrent des signes de vie. Photo de Steve Wilent.
Un bûcheron coupe un Douglas mort six mois après l’incendie de 2020 à Beachie Creek, en Oregon. Photo de Steve Wilent.