Pour le Service de la faune des États-Unis, la tortue n’est plus candidate à une inscription à la liste des espèces menacées dans la plus grande partie de son aire de répartition.

L’article qui suit a été publié initialement dans The Forestry Source. Auteur : Wilent, Steve. Titre : « Managed Forests are Key to Gopher Tortoise Conservation », The Forestry Source, vol. 28, no 3 (mars 2003), p. 1-3. © The Society of American Foresters.

Par Steve Wilent

La plupart des articles où il est question de la loi des États-Unis sur les espèces en voie de disparition (Endangered Species Act, ou ESA) décrivent des projets d’inscription d’une espèce à la liste des espèces menacées ou en voie de disparition ou traitant du déclin d’une espèce déjà inscrite. En octobre, une décision du Service de la faune (Fish and Wildlife Service, ou FWS) des États-Unis a apporté de bonnes nouvelles : la population de gophère polyphème dans le Sud-Est des États-Unis est vigoureuse dans la plus grande partie de son aire de répartition et n’est plus candidate à une inscription comme espèce menacée en vertu de l’ESA.

Aire de répartition de la gophère polyphème, seule tortue indigène à l’est du fleuve Mississippi. Crédit photo : Service de la faune des États-Unis.

La gophère polyphème, une espèce de tortue, vit principalement dans les forêts de la Floride, du Sud de la Géorgie, dans des parties de la Caroline du Sud, de l’Alabama et du Mississippi ainsi que dans l’Est de la Louisiane. Elle creuse des terriers pouvant dépasser 3,5 m de profondeur, qui la mettent à l’abri des feux de forêt, des prédateurs, du froid de l’hiver et de la chaleur de l’été. Elle peut vivre de 50 à 80 ans, dépasser 35 cm de longueur et peser de 3,5 à 7 kg. Elle est herbivore, mais elle mange parfois des insectes et des charognes.

Le FWS a inscrit la gophère polyphème comme espèce menacée en vertu de l’ESA dans la partie occidentale de son aire de répartition, dans des parties de l’Alabama, du Mississippi et de la Louisiane, en 1987. En 2011, il a conclu qu’il était justifié de l’inscrire comme une espèce menacée dans la partie orientale de son aire de répartition, où vit la vaste majorité des tortues, mais il a choisi de ne pas le faire parce qu’il avait des priorités plus élevées pour d’autres espèces.

Vu la décision d’octobre du FWS, la gophère polyphème n’est plus une espèce candidate à l’inscription dans la partie orientale de son aire de répartition; mais elle demeure inscrite comme espèce menacée dans la partie occidentale, plus petite, de son aire de répartition.

Dans l’avis de sa décision publié dans le Registre fédéral, le FWS mentionne que l’aménagement forestier actif et les efforts déployés par une gamme de partenaires des secteurs public, privé et non gouvernemental jouent un rôle déterminant dans la conservation de la gophère polyphème.

Heidi Miller, fille de Darren Miller, vice-président aux programmes de foresterie du National Council for Air and Stream Improvement (NCASI), avec une gophère polyphème. Crédit photo : Darren Miller.

« Je pense que c’est une grande victoire pour l’aménagement forestier actif, pour les propriétaires forestiers et pour bien d’autres partenaires publics et privés qui ont travaillé fort durant des décennies à soutenir la conservation de la gophère polyphème grâce à des efforts de conservation volontaires, affirme Jimmy Bullock, membre de la Societé des forestiers américains (Society of American Foresters) et vice-président principal à la durabilité des forêts pour l’organisme Resource Management Service (RMS). Il n’y a pas de doute que les pratiques d’aménagement forestier dans le Sud-Est ont changé alors que la propriété des forêts est passée d’entreprises de production de bois à pâte à des entreprises de production de bois de sciage et de poteaux pratiquant de multiples éclaircies et d’autres activités qui ont pour résultat un couvert plus ouvert qui favorise les plantes couvre-sol herbacées. Ces activités ont grandement contribué à l’augmentation du nombre de gophères polyphèmes, qui constituent maintenant des populations viables dans le paysage. »

RMS, une organisation de gestion d’investissements dans le bois d’œuvre ayant son siège à Birmingham, en Alabama, gère près de 2,2 millions d’acres de forêt dans le Sud-Est des États-Unis qui sont certifiés selon les normes d’aménagement forestier de la Sustainable Forestry Initiative (SFI) ou du Forest Stewardship Council (FSC).

Dans son avis publié dans le Registre fédéral, le FWS mentionne des études montrant que, dans les pinèdes commerciales où les conditions propices ne sont pas maintenues, la gophère polyphème abandonne plus fréquemment ses terriers et quitte l’habitat de faible qualité qu’offrent les peuplements à couvert fermé. Par contre, les peuplements aménagés plus intensément pour en tirer des produits traditionnels en bois sont l’objet de stratégies d’aménagement qui ont généralement pour résultat le couvert ouvert dont la tortue a besoin. « Sur les terres privées, les programmes comme les certifications forestières (SFI et FSC, par exemple) et le développement de marchés diversifiés pour les produits forestiers ont eu pour effet de répandre des pratiques d’aménagement forestier favorables à la gophère polyphème », rapportait le FWS.

On estime qu’à l’intérieur de l’aire de répartition de la gophère polyphème, 5,5 millions d’hectares sont certifiés SFI.

L’American Forest Foundation collabore depuis longtemps avec le FWS et d’autres partenaires pour promouvoir la conservation de la gophère polyphème. En 2008, la Fondation a publié un guide à l’intention des propriétaires de forêts familiale intitulé Pine Ecosystem Conservation Handbook for the Gopher Tortoise in Florida: A Guide for Family Forest Owners.

Les peuplements aménagés de pins comme celui-ci comportent un couvert ouvert qui favorise la croissance des plantes couvre-sol herbacées, une source de nourriture pour la gophère polyphème. Crédit photo : Darren Miller.

Conservation et expansion de l’habitat

Les principales menaces pour la gophère polyphème sont la fragmentation et la destruction d’habitats, notamment par la construction et l’urbanisation. Toutefois, près de 80 % de l’habitat potentiel de la gophère polyphème se trouvent dans des forêts privées aménagées. Dans son avis publié dans le Registre fédéral (https://www.regulations.gov/document/FWS-R4-ES-2009-0029-0069), le FWS mentionne que « des efforts de conservation sont déployés dans nombre de grandes forêts commerciales privées grâce à un vaste réseau de collaboration avec les organismes fédéraux, d’État et locaux, les universités et les organisations non gouvernementales. Par exemple, les propriétaires forestiers peuvent créer et maintenir des conditions de pinède ouverte, recenser les terriers de gophère polyphème, faire de la recherche et mettre en œuvre les meilleures pratiques de gestion qui favorisent la tortue. »

Le Service des forêts de la Floride (Florida Forest Service, ou FFS) recourt à des pareilles techniques et à d’autres sur les plus de 400 000 hectares qu’il gère (dont près de la moitié sont certifiés SFI). Les activités typiques d’aménagement forestier, comme la récolte de bois, le brûlage dirigé, l’éclaircie et le reboisement, sont permises dans l’habitat de la gophère polyphème, explique Brian Camposano, chef adjoint du Bureau d’aménagement forestier du FFS.

« Bien sûr, nous faisons toujours tout ce que nous pouvons pour signaler les terriers de gophère polyphème, afin que les bûcherons puissent les éviter avec leur équipement, ajoute M. Camposano. Toutefois, aucun permis n’est requis pour ces opérations (liées à la gophère polyphème), parce que ce sont des pratiques bénéfiques. L’éclaircie est bénéfique. Par exemple,  un peuplement trop dense n’est pas souhaitable. Si le couvert est fermé, la végétation dont dépend la gophère polyphème ne pousse pas. »

En dépit de la décision du FWS, l’État de la Floride maintient l’inscription de la gophère polyphème comme espèce menacée. La loi de l’État protège la tortue et ses terriers. D’autres États ont aussi des lois ou des règlements protégeant l’espèce. En Floride, les gophères polyphèmes doivent être déplacées avant le défrichage et la mise en valeur d’une terre. Pour ce faire, le propriétaire doit obtenir un permis de la Commission de conservation de la faune de la Floride (Florida Fish and Wildlife Conservation Commission) et engager un agent autorisé par la Commission pour manipuler et transporter les tortues à un site receveur enregistré.

Les sites receveurs doivent posséder une végétation qui permet de soutenir les tortues, des sols sableux et profonds dont elles ont besoin pour creuser ainsi qu’une nappe phréatique assez profonde pour que les terriers ne risquent pas d’être inondés. Ils doivent aussi offrir un habitat adéquat permettant de soutenir tant les tortues déplacées que celles qui sont déjà présentes.

On recourt souvent au brûlage dirigé pour éliminer les arbustes et les petits arbres dont les tortues ne se nourrissent pas ou ne peuvent pas se nourrir et qui font de l’ombre à la végétation dont elles ont besoin. Cela stimule la croissance des plantes et des herbes qui constituent une bonne source de nourriture pour les tortues.

« Le brûlage dirigé est une grosse opération, poursuit M. Camposano. À n’importe quel site receveur, il faut périodiquement pratiquer le brûlage pour maintenir une diversité de plantes couvre-sol. La gophère polyphème a impérativement besoin d’un terrain découvert qui ne présente pas beaucoup d’arbustes et d’arbres d’étage intermédiaire, et le feu est un outil essentiel au maintien de ces conditions. La meilleure chose que nous puissions faire pour les gophères polyphèmes est de les déplacer vers des endroits possédant des sols sableux bien drainés, dans lesquels elles peuvent creuser, et de recourir au feu pour maintenir leur source de nourriture. »

La gophère polyphème peut se développer dans des peuplements constitués d’un mélange d’espèces de pin, dont le pin des marais, le pin à l’encens et le pin à aiguilles longues, mais elle peut aussi survivre dans les hammocks, les broussailles, les prairies sèches et les dunes côtières, ainsi que dans une variété de milieux perturbés, comme les pâturages et même les secteurs urbanisés.

Une victoire pour la science et pour l’ESA

La gophère polyphème peut dépasser 35 cm de longueur et peser entre 3,5 et 7 kg, selon le Service de la faune des États-Unis. Elle creuse des terriers pouvant dépasser 3,5 m de profondeur qui les mettent à l’abri des feux de forêt, des prédateurs, du froid de l’hiver et de la chaleur de l’été. Crédit photo : Service de la faune des États-Unis.

Darren Miller, vice-président aux programmes de foresterie du National Council for Air and Stream Improvement (NCASI), reconnaît que l’amélioration du statut de la gophère polyphème est une victoire pour l’aménagement forestier actif. La mission du NCASI est de « servir l’industrie des produits forestiers en tant que centre d’excellence lui offrant de la recherche scientifique impartiale et l’information technique nécessaire pour lui permettre d’atteindre ses objectifs en matière d’environnement et de développement durable ».

« C’est aussi une victoire pour le recours à la meilleure science disponible, comme l’exige l’ESA, et une victoire pour les efforts concertés de conservation, renchérit M. Miller. Nous ne serions pas rendus où nous sommes sans le Service de la faune des États-Unis, des organismes des États, des propriétaires forestiers privés et d’une variété d’organisations de recherche — d’universités, entre autres — travaillant ensemble. Grâce à cette collaboration, nous pouvons documenter la sécurité de l’espèce dans de grandes parties de son aire de répartition. Cela ne se produit pas du jour au lendemain; ça a été un long processus. »

L’Initiative pour la conservation de la gophère polyphème de Géorgie, par exemple, est une collaboration d’organismes fédéraux et d’État, de groupes de conservation, d’organismes à but non lucratif, de fondations et de propriétaires fonciers.

« L’autre chose que je trouve vraiment intéressante à ce sujet est la façon dont certains de ces organismes sont devenus proactifs lorsqu’il a été proposé d’inscrire l’espèce, poursuit M. Miller. Des gens ont travaillé longtemps pour améliorer la gestion de l’espèce sur les terres publiques et privées, et tous ces efforts ont véritablement porté leurs fruits, non seulement pour les propriétaires forestiers et pour le Service, mais aussi pour l’espèce. »

  1. Miller soutient que la compréhension de la gestion de la gophère polyphème sur les terres privées du Sud-Est est très importante, puisque 89 % du territoire forestier de la région sont de propriété privée.

« La gophère polyphème a besoin de forêts où amplement de lumière pénètre jusqu’au sol et où beaucoup de verdure tapisse le sol, à la hauteur des tortues. Plusieurs autres espèces dépendent aussi d’un couvert ouvert, renchérit-il. Le passage de la production de bois à pâte à la production de bois de sciage entraîne une densité d’arbres plus faible, et une ou plusieurs éclaircies au fil du temps favorisent ces conditions… Les forêts jeunes et les coupes de régénération offrent aussi ces conditions. Ce qui importe, c’est la persistance à long terme de l’espèce, et plusieurs parcelles de forêt privée ont abrité des gophères polyphèmes durant nombre d’années. »

On a besoin de plus de recherche, conclut M. Miller.

« Les tortues vivent très longtemps, et il peut y avoir des situations où les tortues adultes ne se reproduisent pas. Nous devons considérer non seulement les terres privées, mais toute l’aire de répartition de l’espèce. Des études de grand intérêt montrent que les tortues peuvent avoir des couvées de différentes tailles et différentes capacités de se reproduire, selon l’endroit où elles se trouvent dans le Sud-Est, mais nous ne comprenons pas encore tout à fait ce phénomène, confie-t-il. »

Il est primordial aussi de mieux connaître la réaction de la gophère polyphème aux activités d’aménagement.

« Dans un paysage forestier aménagé, les conditions de l’habitat changent au fil du temps. Il se peut qu’un endroit commence à ne plus être un habitat convenable pour les tortues, puis qu’il le redevienne pour ensuite se dégrader de nouveau, selon là où il se situe dans le cycle d’aménagement forestier. Il serait utile de comprendre de quelle façon la gophère polyphème réagit à cela. »

Une meilleure compréhension de la gophère polyphème et de ses besoins en fait d’habitat aidera non seulement les aménagistes forestiers à favoriser la conservation de la gophère polyphème, mais aussi à garder l’espèce hors de la liste fédérale des espèces menacées dans l’avenir, et peut-être à convaincre la Floride de reclasser l’espèce.

« Je pense que c’est un effet positif de l’ESA. C’est de cette façon que la loi est censée fonctionner, avance Darren Sleep, scientifique en chef de la SFI. Nous devons inscrire les espèces qui sont en difficulté, et non celles qui ne le sont pas. Au début de ce processus, le Service de la faune des États-Unis ne disposait pas de l’information nécessaire pour affirmer que l’espèce était en difficulté. Cette information, il l’a maintenant grâce à l’effort collectif pour gérer l’espèce, grâce aux organisations de recherche qui ont participé, grâce aux propriétaires privés qui se sont impliqués et grâce au fait que bon nombre de ces propriétaires privés sont certifiés SFI et peuvent donc démontrer qu’ils aménagent les forêts de façons qui favorisent la tortue — tout cela concourt à inspirer confiance et à montrer définitivement au Service de la faune que la gophère polyphème n’est pas en difficulté. Voilà pourquoi je pense que tout le monde y gagne. »

Steve Wilent est le directeur des communications sur la durabilité à la Sustainable Forestry Initiative.

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